Quelle place pour les nouveaux médicaments : l’exemple des antidiabétiques

Tous les pays n’ont pas la même stratégie de régulation de l’innovation pharmaceutique. A travers une étude comparative consacrée aux nouveaux antidiabétiques, l’Institut de recherche et documentation en économie de la santé (Irdes) et la Caisse nationale d’assurance maladie (Cnam) soulignent une certaine « propension de la France à utiliser les molécules les plus récentes et onéreuses ».

La France accorde-t-elle une place singulière aux nouveaux médicaments ? C’est ce que semblent démontrer l’Institut de recherche et documentation en économie de la santé (Irdes) et la Caisse na­tionale d’assurance maladie (Cnam) à travers l’exemple des antidiabétiques dans une étude conjointe intitulée « La diffusion des nouveaux antidiabétiques : une comparaison internationale ».

Pourquoi le choix de cette classe de médicaments ? Parce qu’elle représente « à la fois un enjeu de santé publique et un enjeu financier pour l’assurance maladie », expliquent les auteurs de ces travaux. En France, le montant remboursé des antidiabétiques avoisinait en effet 1,2 milliard d’euros en 2011, rappellent-ils.

Cette classe connaît par ailleurs un rythme d’innovation soutenu « avec l’apparition de huit générations différentes de produits sur une période de 40 ans ». Il en résulte des coûts de traitement journaliers très disparates, s’échelonnant entre 0,22 euro pour les produits les plus anciens comme les sulfamides et 3,67 euros pour les dernières molécules, les GLP-1 injectables.

Comparaisons internationales à l’appui, les chercheurs de l’Irdes et de la Cnam mettent en évidence « la propension de la France à utiliser les molécules les plus récentes et onéreuses ». En 2011, les gliptines ou inhibiteurs de la DPP-IV, nouvelle génération des antidiabétiques oraux, représentaient 8,2% des antidiabétiques oraux consommés en France, contre 6,2% en Allemagne, 5,8% au Royaume-Uni et seulement 4% en Australie. Une tendance similaire est observée pour les nouveaux antidiabétiques injectables, pour lesquelles les quantités prescrites ont augmenté nettement plus rapidement en France qu’en Allemagne ou en Australie.

Or, commente l’Irdes, la plupart de ces nouvelles molécules n’apportent « que peu ou pas de progrès thérapeutique ». S’ils reconnaissent que « la diffusion de l’innovation peut être justifiée pour certaines indications ciblées », les chercheurs jugent inopportun de substituer systématiquement les nouvelles molécules aux anciennes.

Evaluation économique
Comment expliquer cette différence d’approche entre ces quatre pays ? La réponse ne se trouve pas du côté de l’autorisation de mise sur le marché (AMM), dont la comparaison « ne met pas en évidence de différences d’indication ».

En revanche, les règles de prise en charge sont déterminantes pour la diffusion des médicaments, assure l’étude, qui précise que, « même autorisée sur les marchés par les autorités compétentes […], une molécule qui n’est pas prise en charge ne sera pas utilisée ».

Pour déterminer ces règles, les pays font appel à l’évaluation économique, terrain sur lequel les différences se font davantage sentir. Les chercheurs y voient même « une ligne de partage entre les pays qui pratiquent systématiquement l’évaluation économique comme l’Australie et le Royaume-Uni, et l’Allemagne qui l’utilise de façon plus occasionnelle ou la France depuis peu ».

Au Royaume Uni, par exemple, le National Institute of Health and Clinical Excellence (Nice) a réalisé de fréquentes évaluations médico-économiques sur les antidiabétiques, alors que les allemands les utilisent avec parcimonie. Les Français, quant à eux, ne s’intéressent officiellement à ce concept que depuis la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2012.

L’Australie, en revanche, utilise ces évaluations pour moduler la prise en charge des produits et établir des règles de priorité. Parmi les antidiabétiques, seuls les produits les plus anciens tels que la metformine, les sulfamides et les glucosidases sont pris en charge sans conditions, « tandis que les autres font l’objet d’une procédure de prescription spéciale » : prescriptions sur une ordonnance spécifique assortie d’un code renseignant sur la nature du traitement, demande d’autorisation avant la délivrance par le pharmacien, conditions particulières attestées par le médecin pour justifier le choix de ce traitement…

Nouvelles recommandations
Au Royaume-Uni et en Australie, ces évaluations médico-économiques sont déterminantes pour les recommandations adressées aux médecins. Ces derniers sont incités à prescrire en première intention « les sous-classes les plus anciennes, qui abritent les produits les moins onéreux ». Dans ces deux pays, les recommandations « proposent systématiquement une hiérarchisation des molécules à chaque stade du traitement, au contraire des recommandations françaises de 2006 qui permettaient le choix de n’importe quelle molécule ».

L’Irdes relève toutefois que les nouvelles recommandations françaises, qui datent de janvier 2013 et n’ont donc pas été prises en considération dans ces travaux, « laissent moins de marge de manœuvre aux médecins en préconisant les molécules les moins onéreuses ».

Alors que se profile « l’arrivée programmée de nouvelles molécules de plus en plus sophistiquées et de plus en plus onéreuses », les auteurs de cette étude suggèrent que ces innovations soient « l’occasion d’une réflexion afin de proposer des nouveaux outils de régulation ». L’analyse des exemples étrangers et la littérature, concluent-ils, « semblent montrer que l’on peut favoriser l’accès aux nouvelles technologies tout en garantissant la sécurité des patients, la qualité et l’efficience des prescriptions ».

Sabine Dreyfus (FNMF)