Mardi 4 avril à Bordeaux, en partenariat avec le magazine Santé et Travail, la Mutualité Française Nouvelle-Aquitaine organisait un temps d'échanges et de réseautage consacré à la santé et à la qualité de vie au travail. À travers cette vidéo Best Of, (re)vivez les moments forts de l’événement #SantéAuTravailEtMaintenant.
Mardi 4 avril, la Mutualité Française Nouvelle-Aquitaine conviait des personnalités d’horizons différents à venir s’exprimer sur la santé au travail. Pari réussi : l’événement a attiré plus d’une centaine de participants. Ils ont ensuite pu poursuivre les échanges lors d’un afterwork convivial.
Parler de la retraite, c’est parler du travail
Il est 18h00. La Grande Poste de Bordeaux ouvre ses portes pour accueillir l’événement #SantéAuTravailEtMaintenant, organisé par la Mutualité Française Nouvelle-Aquitaine. Barbara Stiegler, professeure en philosophie politique à l’Université Bordeaux-Montaigne, est invitée à ouvrir le débat. Actualité et mobilisation sociale obligent, difficile de parler santé au travail sans évoquer la réforme des retraites. La philosophe explique alors que le discours sur l’allongement de la durée de vie, impliquant naturellement l’allongement de la durée de travail, dissimule une réalité : la dégradation de l’état de santé et des conditions de vie observée dans de nombreux pays. Le ton est donné. Pour Barbara Stiegler, « la retraite est un des remparts que le néolibéralisme cherche à abattre ». En effet, selon elle, le néolibéralisme n’envisage la retraite qu’à partir du moment où l’on n’a plus la santé pour travailler. La retraite devient alors une forme de pension d’invalidité. François Desriaux est rédacteur en chef de la revue mutualiste Santé & Travail. En charge d’animer le débat, il poursuit : « Derrière le refus du recul de l’âge de la retraite, se cache effectivement aussi la crainte des travailleurs de pas avoir les ressources suffisantes en santé ». Et d’enchainer : « Avant de réformer les retraites, il aurait fallu se poser la question du travail soutenable ».
L’importance du sens…
Bernard Dugué est docteur en sociologie. Il est également ergonome et enseignant chercheur à Bordeaux INP. Pour lui, la question de la soutenabilité du travail est primordiale. Elle ne se résume pas à celle de la pénibilité, notamment physique. Elle doit aussi inclure la question du sens, elle-même indissociable de celle de l’utilité sociale perçue par les salariés. « Le sentiment de non-utilité est un facteur de dégradation de la santé » explique-t-il. Pour Barbara Stiegler, le capitalisme et son hyper-financiarisation ont justement remplacé la question des fins du travail par celle de la valeur produite par le travail. C’est ce qui explique la crise actuelle. Et d’illustrer en guise d’exemple : « Les services publics sont reconfigurés comme des entreprises prédatrices, entrainant une énorme perte de sens au travail. Cela conduit à une immense souffrance et à un rejet massif du monde du travail tel qu’il est structuré ». Catherine Pinchaut est secrétaire nationale de la Confédération Française Démocratique du Travail (CFDT). Elle estime que la crise sanitaire de la Covid-19 a occasionné un grand questionnement sur le sens au travail. Une partie des salariés a remis en cause ses missions ou revu ses priorités. C’est ce qui explique les phénomènes de « grande démission » ou de « démission silencieuse ». Effectivement, Sébastien Darrigrand, directeur général de l’Union des Employeurs de l’Économie Sociale et Solidaire (l’UDES), confirme l’importance des emplois en souffrance depuis la crise, notamment dans le secteur de l’ESS. « Les jeunes mettent la question de l’utilité sociale et environnementale au cœur du sens au travail. Ils veulent une mutation profonde des modes de production et des modes d’entreprendre ». Cela a obligé le secteur de l’économie sociale et solidaire à travailler sur son « employeurabilité ». « Pour gagner en attractivité, nous avons pris des engagements forts en identifiant les attentes des parties » poursuit-il.
… et des conditions de travail
François Desriaux le souligne : les métiers qui ont connu la plus forte dégradation de leurs conditions de travail, sont ceux du secteur sanitaire et social. Il s’agit souvent d’emplois à temps partiel, occupés majoritairement par des femmes et comportant de la pénibilité physique. Parmi ces emplois, on trouve celui d’auxiliaire de vie, par exemple. « Quand on parle travail, on prend généralement un point de vue surplombant. On ne voit pas comment les personnes résistent, se battent au quotidien pour continuer. On ne voit pas comment elles luttent contre la réduction des moyens, contre l’inorganisation et, parfois même, contre les consignes pour maintenir un travail de qualité » poursuit Bernard Dugué. Catherine Pinchaut ajoute : « La crise Covid a permis de remettre la question du travail sur le devant de la scène. On a, alors, commencé à parler de la santé des travailleurs, des conditions de sécurité pour qu’ils puissent continuer à travailler et, aussi, de l’organisation du travail. Depuis, on a oublié ». Et d’ajouter : « À la CFDT, quand on parle travail, on considère qu’on doit parler des conditions de travail, mais surtout, d’organisation du travail sans souffrance ». De son côté, Barbara Stiegler regrette qu’on « psychopathologise » (NDLR : rechercher une explication psychologique à une pathologie) les conditions de travail alors que ce sont les politiques qui ne vont pas.
La démocratie, indispensable
La question de la démocratie est également liée à celle de la santé, ajoute Bernard Dugué. « La démocratie, c’est la possibilité au quotidien de pouvoir discuter de ce qui vous arrive, de faire état de vos difficultés à effectuer le travail demandé, de l’inadaptation de certaines consignes, de situations dangereuses… C’est aussi le fait de pouvoir être impliqué dans la construction de solutions ». Catherine Pinchaut confirme : il y a beaucoup de choses à changer en matière de démocratie. « Il est nécessaire de laisser les travailleurs s’exprimer. Mais il faut davantage que des espaces d’expression. Il faut des espaces d’implication, de délibération, de décision. C’est ce qu’on appelle le dialogue professionnel. Il doit permettre de discuter du contenu, du sens, des conditions de travail et, aussi, de prendre part aux décisions ».
L’insuffisance de la prévention
« Stress, fatigue, douleurs physiques, accidents et maladies professionnels, le dernier Observatoire publié par la Mutualité Française dresse un état des lieux particulièrement préoccupant de l’état de santé au travail en France » rappelle Bertrand Dupouy, président de la Mutualité Française Nouvelle-Aquitaine. Et de poursuivre : « Force est malheureusement de constater que la prévention est insuffisante. De même, les effectifs en santé au travail se réduisent drastiquement ». Catherine Pinchaut déplore : « On va attendre qu’il y ait des catastrophes pour faire quelque chose. Notre système de santé au travail est trop tourné vers la réparation. Il faut s’intéresser à la prévention et à l’organisation du travail ». Bernard Dugué confirme qu’il y a effectivement plein d’occasions de faire de la prévention. « Dans une entreprise, si, au stade d’un projet, on écoute les salariés, on les implique dans les changements, alors c’est le moment idéal pour faire de la prévention ». Bertrand Dupouy insiste : « Développer la prévention primaire est primordial. Cela permet d’évaluer les risques, de les réduire ou de les éviter. Cela permet également de promouvoir un environnement de travail favorable à la santé. C’est une condition indispensable pour limiter l’usure professionnelle, les incapacités de travail et les invalidités. C’est aussi impératif pour faire diminuer les inégalités sociales de santé ». Enfin, en conclusion, il rappelle les propositions formulées par la Mutualité Française : la nécessité d’intégrer la santé au travail au cœur de la santé publique, de faciliter l’accès à l’offre de prévention et de santé au travail et, aussi, de permettre à chacun d’accéder à une meilleure protection en matière de prévoyance.
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