« Vous qui allez assister à ce spectacle, parlez-en autour de vous, encouragez vos proches à se rendre au dépistage du cancer du sein. » D’un ton convaincu, une représentante d’une association de sensibilisation au dépistage lance cette invitation au public, en préambule à la pièce « Le cancre », jouée ce 11 février, à Angoulême (Charente).
Cette pièce de théâtre montée par la compagnie Paroles, originaire de Limoges (Haute-Vienne), a été co-écrite et est jouée notamment par des patientes, dont la plupart ont été atteintes d’un cancer du sein. Cette soirée de prévention était programmée par la Mutualité Française Poitou-Charentes, avec le comité départemental de la Ligue contre le cancer, l’atelier santé ville et l’association de dépistage Orchidée, dans le cadre des Rencontres santé de Priorité santé mutualiste.
Pour ces femmes, le cancre est le cancer. « Ce n’est pas au dernier de la classe d’imposer sa loi ! », lance l’une des comédiennes. Ce spectacle d’une heure, aborde toutes les étapes traversées par les malades. La vie qui bascule soudainement et violemment avec l’annonce du diagnostic. « C’était un 8 mars, journée de la femme. Je venais d’apprendre que j’allais avoir une promotion professionnelle, attendue depuis longtemps », se souvient Florence. Pour Christiane, c’était le jour où sa fille lui dit qu’elle allait devenir mère…
Suivent la colère, la révolte, l’incompréhension, le sentiment d’injustice. « Ce sont les autres qui pourrissent l’air qu’on respire, qui mangent n’importe quoi, et c’est moi qui suis malade ! », lance une comédienne. « Pourquoi moi ? », s’interroge une autre. Puis arrive le jour de l’intervention chirurgicale où la peur se mêle à l’espoir. « Et si tout devait s’arrêter ? », doute l’une. « Il faut y aller : c’est une question de survie », lâche l’autre. Les comédiennes enchaînent leurs textes, rapidement. Sur scène comme dans la salle, l’émotion est palpable.
Solitude
Ces femmes ont rencontré la compagnie Paroles à la demande du Dr Joëlle Mollard, chirurgien dans le service de gynécologie-obstétrique du centre hospitalier universitaire de Limoges (Haute-Vienne). « Déjà engagée dans une réflexion sur la prise en charge du cancer avec ses collègues, elle a voulu porter ce message auprès du grand public. C’est pourquoi elle a fait appel à notre troupe », se souvient Denis Lepage, fondateur de la compagnie. Les patientes ont apporté leurs propres textes, parfois très intimes. Il a alors fallu effectuer un important travail de réécriture, puis de mise en scène. « Il est devenu rapidement évident que les patientes étaient les mieux placées pour jouer ce spectacle », ajoute Denis Lepage.
Malgré la fatigue et les traitements en cours, ces femmes malades ont travaillé, répété, se sont dépassé. Depuis sa création il y a cinq ans, le spectacle a été joué une quarantaine de fois, dans de nombreuses villes, comme à Limoges (Haute-Vienne), Sainte-Feyre (Creuse) ou Brive-la-Gaillarde (Corrèze), à l’initiative de la Mutualité Française Limousin. « J’ai commencé les répétitions en même temps que ma chimiothérapie », explique Florence, au cours du débat qui suit la représentation. « Actuellement, je suis en train de terminer mon hormonothérapie », ajoute-t-elle. « Pour moi, monter sur scène dans cette situation, c’est dire à celles qui sont malades qu’il est possible de continuer à avoir des activités », soutient-elle.
« Pour ces femmes, jouer ce spectacle est un véritable engagement militant », estime Denis Lepage. « Quand on joue, qu’il y ait dix ou cent personnes dans la salle, on veut faire passer notre message ! », poursuit Florence. « Le fait de partager des choses intimes – parfois tellement dérangeantes qu’il n’est pas possible de les aborder, ni avec nos proches ni plus largement, en société – cela nous libère !, ajoute Stéphanie. Et nous avons l’impression d’être utile. »
En effet, le message qu’elles transmettent est souvent douloureux. La dégradation du corps, la difficulté de partager avec les proches, le sentiment d’impuissance dont souffre le conjoint, la transformation des relations due à l’intensité de la fatigue et à la souffrance : ces états plongent les femmes cancéreuses dans une grande solitude. Pourtant, « l’accompagnement de mes proches a été indispensable », se souvient une spectatrice, Sandra. Cette jeune femme de 33 ans est atteinte d’un cancer du sein diagnostiqué il y a deux ans.
Faire évoluer les pratiques avec les patientes
« Je voulais vous remercier pour avoir témoigné de votre vécu. Pour nous, praticiens, c’est primordial. » Ce chirurgien, également gynécologue, est visiblement touché. Les échanges se poursuivent sur le thème de l’annonce. « Au cours du spectacle, vous avez insisté sur l’annonce de la maladie. Est-ce que cela a évolué depuis que vous avez écrit ce texte, il y a cinq ans ? », interroge une participante. « Je suis infirmière d’annonce », répond Marie-Christine, l’une des comédiennes. Elle décrit le dispositif mis en place et sa fonction. « Nous essayons toujours de l’améliorer. C’est ce que vous nous dites, vous patients, qui nous fait avancer », indique cette professionnelle de santé.
Autre thème abordé : l’âge retenu pour bénéficier d’un dépistage organisé. Actuellement, toutes les femmes de 50 à 75 ans reçoivent une invitation pour un dépistage gratuit du cancer du sein. « Il ne faut pas avoir peur de savoir, on guérit mieux et plus vite. C’est toujours vrai, et pour tout ! », lance une comédienne. Pour celles qui sont plus jeunes, « il faudrait qu’elles apprennent à effectuer une auto-palpation de leurs seins », soutient l’une des comédiennes. « Le cancer m’a permis de découvrir mon corps. Je fais désormais plus attention qu’auparavant », ajoute-t-elle.
Pour toute ces femmes, il y a un « avant » et un « après » cancer. « La vie a changé. Elle ne sera plus jamais la même », disent-elles. Après la représentation, Martine se souvient. « Même pendant le traitement, ce à quoi j’accordais auparavant de l’importance est devenu futile », explique-t-elle. « Je voudrais transmettre un message d’espoir », ajoute-t-elle. « Lorsque ma gynécologue m’a annoncé le diagnostic, elle a dit : maintenant, faites-vous plaisir. Je continue à le faire ! »
A Angoulême, Milène Leroy